Par Ernest Gnan, Oesterreichische Nationalbank (OeNB) et le Forum Européen de la Monnaie et de la Finance. 1
La politique monétaire influe sur les prix du logement par le niveau des taux d’intérêt (coût du crédit, taux d’actualisation, attractivité vis-à-vis des autres investissements). Le marché du logement affecte la demande globale par l’activité de construction et son influence sur la consommation (effets sur la richesse et les revenus). Les booms et les crises du logement peuvent menacer la stabilité financière et macroéconomique et, par conséquent, alimenter également l’inflation des prix à la consommation. Les banques centrales ne peuvent donc pas ignorer l’évolution du marché du logement. Mais la politique monétaire est un instrument trop grossier pour cibler les prix de l’immobilier. Une nouvelle classe d’instruments – les politiques macroprudentielles – a été créée et comble cette lacune depuis la crise financière mondiale. En outre, les prix des logements sont largement influencés par les politiques structurelles du logement qui affectent l’offre et la demande de logements. Dans le même temps, l’inclusion des logements occupés par leur propriétaire dans le panier de prix à la consommation contribue à alimenter de manière adéquate cette part importante des dépenses des ménages dans les fonctions de réaction des banques centrales. Alors que les politiques monétaires dans le monde entier ont sans aucun doute joué un rôle central pour contenir les retombées économiques de la COVID-19, les effets secondaires potentiels, tels que la hausse des prix des logements, et la proportionnalité des mesures de politique monétaire non conventionnelles de longue durée doivent attirer de plus en plus l’attention alors que les économies rebondissent après la crise du COVID.
Pourquoi les banques centrales devraient-elles prêter attention à un secteur spécifique tel que le marché du logement?
Les banques centrales du monde entier ont pour mandat d’assurer la stabilité des prix, sous réserve de cela (ou parallèlement, comme à la Fed américaine) également de soutenir la croissance et l’emploi. Leur objectif de stabilité des prix est généralement inventé en termes d’inflation des prix à la consommation. La politique monétaire est un instrument plutôt « brut », qui affecte largement la demande globale et ne peut généralement pas être ciblé sur l’évolution de secteurs spécifiques. Alors, pourquoi la politique monétaire devrait-elle se préoccuper de l’évolution d’un secteur spécifique tel que le marché du logement?
Il existe plusieurs canaux dans lesquels le logement est pertinent pour la transmission des impulsions de politique monétaire telles que les variations des taux d’intérêt officiels ou des rendements du marché obligataire via le QE. Premièrement, le niveau des taux d’intérêt à court et à long terme influe sur les taux de crédit hypothécaire. Ainsi, cela rend l’achat d’une maison plus (ou moins) abordable. Ainsi, la demande de logement – et donc d’emploi, la demande globale et finalement aussi l’inflation des prix à la consommation – augmente (ou diminue). Les prêts hypothécaires représentent 77 % du total des emprunts des ménages de la zone euro (BCE, 2021). La croissance des prêts hypothécaires de la zone euro a poursuivi sa tendance à la hausse observée depuis 2016 pour atteindre environ 5 % en termes nominaux tout récemment. En 2019, dans l’UE et la zone euro, la valeur ajoutée brute du secteur de la construction représentait respectivement 5,4% et 5% du PIB, avec une large fourchette de 1,7% à 7,4% entre les pays de l’UE. Les projets de construction sont généralement financés dans une large mesure par le crédit. Ainsi, les coûts de financement exercent un effet potentiellement fort sur l’activité de construction.
Figure 1. Le logement constitue une part importante des prêts aux ménages et constitue un secteur économique important
Effets positifs et négatifs sur le patrimoine et le revenu de la hausse des prix des maisons
Deuxièmement, la valeur d’un actif est influencée par la valeur actualisée nette du flux de revenus de cet actif. Dans le cas d’un logement, ce revenu peut être soit un revenu locatif, soit le revenu implicite de l’utilisation de la maison (dans le cas d’un logement occupé par son propriétaire). Si le taux d’actualisation baisse (comme le laisse entendre la baisse des taux d’intérêt officiels), la valeur actualisée nette d’une maison augmente. Une politique monétaire plus souple augmente donc, ceteris paribus, les prix de l’immobilier. Cette hausse des prix des logements peut affecter la consommation des ménages de diverses manières. Premièrement, cela peut impliquer que les ménages se sentent plus riches et peuvent contracter une hypothèque supplémentaire sur leur maison, pour financer d’autres dépenses. Dans ce cas, nous observons un effet de richesse positif. Inversement, la hausse des prix de l’immobilier peut également impliquer que, par exemple, les jeunes ménages doivent consacrer une fraction plus élevée du revenu disponible au logement, laissant moins pour d’autres consommations (voir par exemple OCDE, 2021). Dans ce cas, il y aurait un effet négatif sur le revenu de la hausse des prix des maisons. Que les effets positifs ou négatifs sur la richesse et le revenu prévalent, dépend de la fraction des propriétaires par rapport aux locataires et des facteurs démographiques. Si, par exemple, les propriétaires qui bénéficient d’une augmentation du patrimoine ont une propension à consommer inférieure à celle de ceux qui achètent simplement une maison, l’effet net sur la consommation globale sera probablement négatif.
De même, la hausse des loyers (qui est la conséquence probable, avec un certain décalage et dans une certaine mesure, selon les cadres institutionnels et juridiques des pays, de la hausse des prix des logements) profitera aux propriétaires, tandis que les locataires auront moins de revenus à consacrer à d’autres consommations. En supposant que les locataires sont plus riches et ont une propension à consommer plus faible que les locataires, une hausse des prix et des loyers de l’immobilier freinera globalement la consommation de biens autres que le logement. Un argument très similaire s’applique aux ménages qui contractent un prêt pour financer leur logement: la hausse des prix des maisons implique la nécessité d’un prêt plus important, ce qui implique une baisse du revenu disponible des ménages après le service du prêt.
Ainsi, les effets sur la richesse et le revenu des fluctuations des prix du logement impliquent également des effets redistributifs importants entre les individus et les groupes démographiques (voir par exemple OCDE, 2021).
Figure 2. Evolution des prix de l’immobilier dans la zone euro
Les booms et les bustes du logement menacent la stabilité financière et macroéconomique
Il y a une deuxième raison pour laquelle les banques centrales examinent attentivement l’évolution du marché du logement, qui a pris de l’importance dans la Crise financière mondiale: les bulles du marché du logement peuvent déclencher et alimenter des booms économiques, qui se terminent par de profonds bustes. La politique monétaire peut alimenter ce boom immobilier en rendant le crédit très bon marché, encourageant ainsi un effet de levier excessif parmi les ménages. Les booms immobiliers peuvent également, à un niveau plus structurel, entraîner qu’une fraction excessive de l’activité économique soit consacrée à la construction (comme c’était le cas dans plusieurs pays avant le GFC). Une fois que la bulle immobilière éclate, une crise financière profonde peut en résulter, ce qui oblige la banque centrale à prendre des mesures d’urgence pour empêcher un effondrement du système financier, mais aussi pour amortir la récession qui en résulte et la chute excessive de l’inflation des prix à la consommation qui l’accompagne, bien en dessous de l’objectif de la banque centrale, potentiellement même en territoire négatif. Certains économistes soutiennent ainsi que les banques centrales devraient « s’appuyer contre le vent » face à la hausse des prix de l’immobilier. Même si la banque centrale pourrait ne pas cibler les prix des actifs, s’appuyer contre le vent pourrait être justifié car cela contribue également à amortir les fluctuations excessives de l’inflation des prix à la consommation qui peuvent être déclenchées par des booms et des bustes immobiliers. D’autres soutiennent qu’un tel resserrement » préventif » de la politique monétaire entraîne des coûts macroéconomiques élevés en termes d’emplois et de production perdus. La politique monétaire est, selon ce point de vue, un outil trop grossier pour prendre en compte les prix de l’immobilier et devrait se concentrer exclusivement sur l’inflation des prix à la consommation.
Les politiques macroprudentielles en tant que nouvel outil pour traiter les cycles du logement
C’est pourquoi, notamment après le GFC, un consensus s’est dégagé sur l’application d’un ensemble supplémentaire d’instruments, les » règles macroprudentielles », pour calmer l’évolution des prix des actifs en surchauffe, par exemple en augmentant les ratios prêt sur valeur ou les ratios service de prêt sur revenu appliqués par les banques lorsqu’elles accordent des crédits au logement (voir par ex. CERS, 2021, BCE, 2021 et OCDE, 2021). Ces nouvelles politiques ont été mises en œuvre dans le monde entier et l’expérience s’accumule dans leur application. Il convient toutefois de noter que, dans la pratique, la notion stylisée de deux outils totalement distincts pour deux objectifs économiques clairement distincts – la politique monétaire pour stabiliser l’inflation des prix à la consommation et les politiques macroprudentielles pour prévenir les explosions et les explosions d’actifs – ne rend pas pleinement justice à une réalité beaucoup plus complexe.
Inclure les logements occupés par leurs propriétaires dans l’inflation des prix à la consommation afin de mieux refléter l’évolution globale du coût de la vie des ménages dans les fonctions de réaction des banques centrales
L’une des façons dont les prix des maisons alimentent la fonction de réaction de la banque centrale consiste à inclure le coût de l’hébergement dans l’indice des prix à la consommation. C’est déjà le cas pour les loyers. En revanche, du moins dans la plupart des pays européens, ce n’est pas encore le cas pour les logements occupés par leur propriétaire. Cela implique que le coût du logement pour les propriétaires occupants (y compris par ex. les jeunes familles qui achètent une maison) sont négligées dans la mesure des prix à la consommation et donc dans la fonction de réaction de la banque centrale; cela implique également que les bulles de prix de l’immobilier risquent d’échapper à la fonction de réaction formelle de la banque centrale. L’inclusion des logements occupés par leurs propriétaires est donc utile pour améliorer les paramètres utilisés pour éclairer la politique monétaire.
Les effets secondaires et la proportionnalité de l’expansion monétaire prennent du poids à mesure que les économies rebondissent après le COVID
Une autre façon dont l’évolution des prix des actifs, y compris les prix des logements, peut entrer dans la fonction de réaction de la banque centrale est de prendre explicitement en compte les effets secondaires et la proportionnalité des mesures de politique monétaire. Même le meilleur médicament ne vient pas sans effets secondaires. Pour prendre la situation actuelle de la crise du COVID, il est clair que les banques centrales ont dû intervenir pour contenir les dommages causés à nos économies. Les banques centrales sont conscientes des « effets secondaires » de ces politiques, tels que la hausse des cours des actions mais aussi, dans de nombreux pays, une nouvelle hausse des prix de l’immobilier. Pour contenir ce dernier, par exemple, la BCE a explicitement exclu les crédits hypothécaires de l’éligibilité au respect des indices de référence des prêts des banques afin de bénéficier de taux d’intérêt préférentiels sur les Opérations de refinancement à Long Terme ciblées de la BCE (TLTRO).
Comme il a été mentionné, les hausses des prix des actifs en général, et plus précisément des prix des logements, peuvent également entraîner des gains de richesse importants pour ceux qui possèdent déjà ces actifs, ce qui implique des effets distributifs importants. Des politiques monétaires fortement expansionnistes et non conventionnelles sur de longues périodes posent donc en fin de compte la question de la proportionnalité. Il n’est pas simple de mesurer les avantages par rapport aux coûts (potentiels) – il y a une incertitude importante et toute décision repose en fin de compte sur un jugement attentif. Ce qui semble clair, cependant, c’est qu’à mesure que la durée des mesures de politique monétaire expansionnistes s’étend et que les signes d' »exubérance » sur les marchés des actifs, y compris les marchés de l’immobilier résidentiel, s’intensifient, alors que l’économie semble clairement sur les rails, il devient de plus en plus urgent de prendre en compte les effets secondaires et la proportionnalité.
BCE (2021). Revue de stabilité financière, mai.
CERS (2021). Plus faible pour les questions de politique macroprudentielle à long terme découlant de l’environnement de taux d’intérêt bas juin 2021. Rapport de la Task Force Conjointe du Comité Technique Consultatif (ATC) du CERS, du Comité Scientifique Consultatif (ASC) du CERS et du Comité de Stabilité financière (FSC) du SEBC, juin.
Fell, J. et T. Shakir (2021). Revue de stabilité financière de mai 2021. Présentation lors du webinaire SUERF-Baffi Bocconi, le 19 mai 2021.
OCDE (2021), Brique par brique: Construire de meilleures politiques de logement, Éditions de l’OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/b453b043-en.
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- Ernest Gnan est Responsable de la Division d’Analyse économique de l’OeNBs. Prof. M. Gnan est également membre du Comité de politique monétaire de la Banque Centrale européenne et membre expert du Conseil fiscal autrichien. Depuis 2006, Dr Gnan est également Secrétaire général du SUERF – Le Forum Européen de la Monnaie et de la Finance. Depuis 2005, il est chargé de cours à l’Université de Vienne et depuis 2006 chargé de cours à l’Académie autrichienne de [email protected] , http://www.oenb.at , http://www.suerf.org. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et pas nécessairement celles de l’OeNB, de l’Eurosystème ou du SUERF.